Comptabilisation des frais privés dans sa société : les risques liés à de telles pratiques

Introduction

Lorsqu’une société prend en charge des frais inhérents au train de vie de son actionnaire, ces deux personnes distinctes risquent de graves conséquences. La présente Taxnews tentera, à travers un exemple pratique, d’exposer les principales conséquences de telles pratiques.

1. Cas pratique

Robert a créé il y a quelques années la société Juice SA domiciliée dans le canton de Genève. Cette société est active dans le domaine de la production de jus de fruits. Robert, domicilié à Lausanne, est l’actionnaire unique de Juice SA. En 2023, la société a réalisé un bénéfice net de CHF 20’000.-. Durant cet exercice, elle a notamment comptabilisé les charges suivantes :

a) Frais de repas de CHF 5’000.- pour le repas d’anniversaire d’Amélie, la compagne de Robert ;

b) Frais de location d’un véhicule de transport pour CHF 15’000.-. Ce véhicule appartient personnellement à Robert. En temps normal, la valeur de cette location devrait s’élever à CHF 14’000.- ;

c) Frais de voyage de CHF 10’000.- pour un voyage de 10 jours à destination de Kuala Lumpur pour une visite commerciale d’une usine. Durant ce voyage, Robert compte rendre visite durant 2 jours à sa fille Zoé qui séjourne en Malaisie pour ses études.

La société a été taxée sur la base de la déclaration déposée, laquelle était conforme à la comptabilité. Il en est de même pour Robert. En 2024, l’administration fiscale cantonale fait un contrôle des livres de la société.

 

2. Eléments théoriques

A. La notion de prestation appréciable en argent (ci-après « PAA »)

Selon une jurisprudence constante du Tribunal fédéral, il y a une PAA lorsque les quatre conditions suivantes sont remplies :

  1. la société fait une prestation sans obtenir de contre-prestation correspondante ;
  2. cette prestation est accordée à un actionnaire ou à une personne le ou la touchant de près ;
  3. elle n’aurait pas été accordée dans de telles conditions à un tiers ;
  4. la disproportion entre la prestation et la contre-prestation est manifeste, de telle sorte que les organes de la société auraient pu se rendre compte de l’avantage qu’ils accordaient.

En d’autres termes, lorsque la société accorde un avantage non-justifié à son actionnaire ou à un proche, il est probable qu’elle réalise une PAA. En présence d’une telle opération, l’autorité fiscale peut réintégrer la charge (avantage non-justifié commercialement) dans le bénéfice de la société et ajouter un montant équivalent aux revenus de l’actionnaire. Dans l’hypothèse où la taxation est entrée en force, ces corrections sont effectuées au moyen du rappel d’impôt.

B. Eléments de droit prénal fiscal

Lorsque la taxation est entrée en force, tant la société que l’actionnaire peuvent, en plus du rappel d’impôt, être reconnus responsables de soustraction consommée d’impôts.  Cette infraction est sanctionnée par le paiement d’une amende. L’amende est d’au moins un tiers et au plus trois fois le montant de l’impôt soustrait.

En plus, l’actionnaire s’expose également, en tant qu’organe de la société,  à l’infraction pénale d’usage de faux, à savoir la soustraction au moyen de faux dans les titres (exemple : comptabilité incorrecte).

Enfin, l’article 177 LIFD prévoit aussi des sanctions pour l’instigation, la complicité ou participation à la soustraction réalisée par la société. Dans ces situations, l’actionnaire encourt une amende et peut être tenu comme solidairement responsable du montant du rappel d’impôt dû par la société.

3. Résolution du cas pratique

 

Dans le cas d’espèce, il s’agit donc de savoir si les transactions remplissent les conditions cumulatives d’une PAA :

  • Dans le cas a), les frais de repas d’anniversaire d’Amélie remplissent clairement les conditions de la PAA. Ils sont sans contreprestation et accordés uniquement du fait que Robert est l’actionnaire de Juice SA. Le montant considéré comme PAA est de CHF 5’000.- ;
  • Dans le cas b), la question d’une contreprestation équivalente à la prestation se pose. Si l’autorité fiscale considère que le prix de location payé par Juice SA est trop élevé, il pourra assimiler une partie de l’opération à une PAA. Cependant, puisque la différence entre le prix de location de marché et le prix pratiqué n’est pas importante, nous considérons ici que le prix et la charge comptabilisée de CHF 15’000.- seront admis sous l’angle fiscal ;
  • Dans le cas c), les frais pour le voyage d’affaires sont, sur le principe, justifiés. En revanche, la part des frais liés à la visite de Robert à sa fille Zoé seront considérés comme une PAA car ils n’ont aucun lien avec les activités de Juice SA. Ici, on considérera que le montant à réintégrer dans le bénéfice est de CHF 2’000.-.

Maintenant que ces opérations ont été requalifiées, quelles sont les conséquences auprès des différents acteurs ?

 

A. Chez Juice SA

Les frais non justifiés seront réintégrés au bénéfice imposable via le rappel d’impôt, puisque la taxation est déjà entrée en force. De plus, des intérêts de retard seront facturés sur le montant dû. Finalement, en plus de ce rappel, Juice SA devra payer une amende pour la soustraction d’impôt.

Etant donné que ces frais sont requalifiés en PAA, Juice SA doit prélever un impôt anticipé de 35% sur cette distribution dissimulée. Ce prélèvement doit être mis à la charge de l’actionnaire.

B. Auprès de Robert

Puisque Robert n’a pas déclaré les PAA obtenues (traitées comme des distributions dissimulées de dividendes) dans sa déclaration d’impôt 2023, l’autorité fiscale procédera à un rappel d’impôt pour récupérer l’impôt dû. Néanmoins, puisqu’il détient une participation de plus de 10% de Juice SA, Robert pourra bénéficier de l’imposition partielle de son dividende. Il devra aussi payer des intérêts de retard.

Comme Robert n’a pas déclaré tous ses revenus, il sera pénalement poursuivi pour soustraction d’impôt consommée. En tant qu’organe de Juice SA, il pourra être également poursuivi pour usage de faux puisque la comptabilité de Juice SA est fausse.

En fonction de son implication, on pourrait également reprocher à Robert une complicité dans la soustraction commise par Juice SA. Dans cette situation, il serait solidairement responsable du paiement de l’impôt dû par Juice SA.

Finalement, se posera la question de l’éventuel remboursement de l’impôt anticipé mis à charge de Robert par Juice SA.

 

C. Tableau récapitulatif des conséquences

Pour rappel, montant total des PAA est de CHF 7’000.-

Tableau récapitulatif des conséquences risques

À noter que les montants d’impôt dus généreront des intérêts de retard.

4. Conclusion

Il est crucial que les sociétés, ainsi que leurs actionnaires, prennent soin de bien distinguer les finances personnelles des actionnaires de celles de la société. L’exemple pratique décrit précédemment illustre qu’en comptabilisant des frais apparemment innocents, ceux-ci peuvent entraîner de lourdes conséquences fiscales et pénales.

Généralement, on évoque en premier lieu les impacts économiques qui en découlent. Cela est d’autant plus justifié en sachant que le montant total des amendes peut dépasser le tiers des frais incorrectement comptabilisés (dans le cas présenté, amende globale de plus de CHF 3’000.- pour CHF 7’000.- de mauvaises comptabilisations, sans compter les intérêts de retard).

Cependant, il ne faut pas sous-estimer les impacts administratifs, notamment en lien avec la justification de telles dépenses. En effet, la charge de temps nécessaire pour faire face aux procédures de contrôle respectivement de rappel d’impôt, pouvant remonter sur les dix dernières années, peut être très importante. Dans notre pratique, nous avons remarqué qu’il était souvent fastidieux de justifier des frais de repas ou de représentation datant de plusieurs années.

Pour faire face à ces risques, il peut être intéressant de recourir à des rulings permettant d’avaliser certaines transactions entre l’actionnaire et sa société à l’avance. Néanmoins, dans la plupart des cas, nous recommandons en plus une mise en place d’une politique de traçage et de justification des dépenses. Il peut être par exemple judicieux d’indiquer les clients bénéficiaires des dépenses sur les notes de frais (tickets de restaurant, factures de cadeaux, …).

Enfin, il est également possible pour l’actionnaire ou sa société de dénoncer spontanément leurs infractions. Grâce à ce mécanisme, il est possible, sous certaines conditions strictes, de réduire l’amende, voire de la supprimer.

Pour éviter de telles situations, il est recommandé de se conformer rigoureusement aux réglementations fiscales. Nos experts fiscaux sont à votre disposition pour toute question sur le sujet.

Sources :

1. Berney Associés, Guide Fiscal, N82, disponible à l’adresse suivante : https://berneyassocies.com/guide-fiscal-2024/ : 14% VD ; 14.11% FR ; entre 11.89% et 17.08% VS.

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